La numérisation des PME agite le marché des télécoms d'entreprise
Aiguillonnées par la crise sanitaire, les PME accélèrent leur transition numérique. Elles font leur marché auprès des mastodontes, comme Orange, mais aussi des 2.000 opérateurs alternatifs qui proposent des solutions et expertises spécifiques. Ce secteur est en pleine consolidation.
Avec sa box Internet fibre optique pour les professionnels, Free a annoncé le 23 mars vouloir « révolutionner » un secteur dominé par Orange (60 % du marché des télécoms d'entreprise) et SFR (20 %). C'est un nouveau pavé dans ce marché de la fibre professionnelle que l' Arcep, l'Autorité de régulation du secteur, avait déjà tenté de secouer en 2016 en favorisant la création à Paris d'un opérateur de gros, Kosc. Racheté en 2020 par le normand Altitude Infra , Kosc (80 salariés et 60 recrutements annoncés pour 2021) promet « au meilleur tarif » des lignes très haut débit aux opérateurs de services aux entreprises.
Sur ce deuxième étage du marché des télécoms, celui des services, la concurrence est déjà très installée mais elle accélère avec la numérisation à marche forcée des entreprises. Ils sont en effet 2.000 opérateurs, de toutes tailles, à proposer des solutions et expertises spécifiques : téléphonie fixe et mobile, cloud, raccordement multisite d'enseignes et de collectivités (comme Linkt, filiale d'Altitude), outils collaboratifs (comme le francilien Foliateam). Ou encore des services hébergés, comme le nancéien Adista (110 millions d'euros de chiffre d'affaires) qui, en février dernier, a fait l'acquisition de son concurrent parisien Waycom (40 millions d'euros de chiffre d'affaires).
Google et Amazon
« Le secteur est en pleine consolidation », observe Laurent Silvestri. Le président du Club des dirigeants réseaux et télécoms (220 membres) dirige surtout Open IP, un spécialiste des communications sécurisées dans le cloud installé à Clichy près de Paris, qui dégage 20 millions d'euros de chiffre d'affaires. Deux ans après avoir été racheté par le groupe belge Destiny, il a, lui-même, annoncé en mars le rachat de son confrère parisien Alliantel (9 millions de chiffre d'affaires).
Ces opérateurs dits « alternatifs » doivent en effet jouer des coudes face aux acteurs de la tech américaine (8X8, RingCentral, Zoom), à Google et Amazon, aux groupes comme Atos et, bien sûr, à Orange, qui revendique être « le seul à être sur tous les métiers d'opérateur réseau, de fournisseur de services digitaux, de cybersécurité et d'hébergement ».
La période est porteuse car la crise sanitaire accélère la numérisation des entreprises, avec l'essor du travail à distance, le besoin de protection contre les cyberattaques, en forte hausse, ou encore le « click & collect » dans les commerces. « Nos ventes de solutions packagées de sites Internet - création du site, maintenance et référencement - ont été multipliées par 4 en un an », indique Pierre Jacobs, directeur Orange Grand Ouest, qui compte 200 conseillers PME.
Paradoxe français
« Les entreprises s'arment aussi en vue de la reprise », observe Sébastien Morin, président d'Hexatel, opérateur réseaux installé à Rennes (300 salariés dans 31 agences de l'Ouest). « Elles investissent dans l'accès fibre optique, les équipements de réseau et les outils de collaboration » (tels que Teams, Zoom, etc.). Avant le Covid, les PME avaient aussi pris le pli « d'acheter des services en ligne pour être plus performantes et rechercher de nouveaux clients », ajoute Laurent Silvestri. Et de s'adapter « à la transformation de la relation client qui est désormais omnicanale (avec les mails et les réseaux sociaux) et plus seulement vocale ».
Mais les PME viennent de loin. « Il y a un paradoxe français », pointe Paul Le Dantec, directeur général de Kosc . « Le déploiement de la fibre optique a été favorisé pour le résidentiel où nous sommes parmi les premiers en Europe, mais nous restons en retard sur la numérisation des entreprises, 16e sur 28. » Un rattrapage qui va nourrir ce secteur des télécoms d'entreprise en pleine effervescence.
La téléphonie dans le cloud séduit enfin les PME françaises
Technologie : De plus en plus de PME optent désormais pour une téléphonie dans le cloud. La disponibilité d'offres de type Centrex IP n’est pas nouvelle, mais le besoin de se moderniser, et surtout le télétravail généralisé pour cause de Covid, poussent les entreprises vers les offres de type UCaaS.
Selon les analystes du cabinet d’étude britannique Cavell Group, le nombre de lignes gérées dans le cloud a dépassé la barre du million en 2018. Ce marché connaît un taux de croissance de 26 %, notamment tiré par les PME de moins de 50 postes. Les solutions de Centrex IP lancées il y a plus d'une quinzaine d'années se sont très largement enrichies, se dotant de capacités en termes de visio, de messagerie instantanée et en assurant une convergence fixe/mobile. Le marché de UCaaS (Unified Communications as a Service) est enfin en train de décoller en France.
« La téléphonie devient l'une des composantes de l'IT des entreprises, ce qui se traduit par une convergence des métiers, avec des éditeurs qui deviennent opérateurs, une volonté d'automatisation et de simplification des offres pour les démocratiser », souligne Laurent Silvestri, président du CDRT (Club des Dirigeants Réseaux et Télécoms).
Parmi les éditeurs sur le marché qui accompagnent les opérateurs, cet expert du marché signale Mitel*, 3cx*, Wildix* mais aussi les agrégateurs, des opérateurs qui donnent les moyens aux intégrateurs de proposer des offres de communications unifiées en marque blanche. Parmi eux : Sewan*, Unyc*, OpenIP* et AlphaLink*, quatre opérateurs qui accompagnent ainsi 1 500 intégrateurs en France. « Les agrégateurs disposent d'une plateforme de communication unifiée dans le cloud, qui s'appuie sur les solutions Cisco/Broadsoft* ou celles de Metaswitch. Il faut aussi noter quelques acteurs européens tels que Centile* (groupe Enreach), le groupe Destiny dont OpenIP* est la filiale française et qui dispose de sa propre plateforme logicielle », ajoute-t-il.
Le cloud, un moyen de faire baisser la facture télécom
Poussées par l'abandon du RTC et la fin prochaine du réseau cuivre, les PME abandonnent leurs PABX au profit d’offres de type PABX virtuels, et surtout UCaaS. De nombreux opérateurs et intégrateurs se sont donc positionnés sur le marché. C’est le cas de Networth Telecom*, un opérateur basé en région parisienne qui présente la particularité d’être aussi éditeur, préférant développer lui-même sa plateforme de téléphonie cloud. Richard Aubry, PDG de l’opérateur, explique ce choix stratégique : « nous sommes à la fois opérateur et éditeur d’une offre Centrex IP, ce qui nous permet de proposer une seule offre, avec le volet logiciel et tous les services apportés par un opérateur, avec des offres de convergence entre fixe, mobile et data ».
Mais, si le marché évolue rapidement vers le cloud, les PME qui portent leur téléphonie dans le cloud veulent abaisser leur facture télécom sans faire de sacrifices sur les fonctionnalités, bien au contraire. « Les PME sont de plus en plus exigeantes, et notamment les TPE, qui souhaitent aujourd’hui offrir un accueil téléphonique le plus professionnel possible, à la hauteur de ce que proposent les grandes entreprises », souligne Richard Aubry. « Intégrer la mobilité à ce type de service Centrex est devenu essentiel alors que les entreprises ont largement recours au télétravail. » Networth Telecom mise sur une interface utilisateur simplifiée pour permettre aux utilisateurs ou aux intégrateurs de paramétrer eux-mêmes les services téléphoniques, pour construire la stratégie de traitement des appels entrants par simple "Drag & Drop".
Richard Aubry estime que la priorité aujourd’hui porte sur la convergence fixe/mobile. « Etre à la fois opérateur fixe et opérateur mobile nous permet de capter les appels via nos bornes de collecte avec les opérateurs mobiles et les opérateurs fixes. Ceux-ci sont transmis vers nos datacenters vers notre plateforme, et c’est ce qui permet une convergence totale entre téléphonie fixe et mobile. » Cette intégration permet de passer un appel fixe depuis le mobile, un appel mobile depuis le fixe, ou recevoir des appels fixes ou mobiles sur un PC et avoir une messagerie unifiée, avec les messages reçus indifféremment sur le fixe ou le mobile. Le challenge pour l'opérateur/éditeur est maintenant de rivaliser avec les offres UCaas et doter sa plateforme de capacités collaboratives, notamment de visioconférence et de l'interfacer avec les solutions CRM.
Les acteurs OTT peuvent-il bousculer les opérateurs ?
Face aux opérateurs se dresse une nouvelle classe de fournisseurs de services, dits OTT pour "Over The Top". L'arrivée du très haut débit dans les entreprises permet désormais de totalement décorréler services téléphoniques et infrastructure. Des éditeurs venus du monde internet proposent des applications et services en ligne sans nécessairement disposer d’une infrastructure réseau. Les plateformes Microsoft 365 et G Suite de Google offrent de nombreux outils collaboratifs et de plus en plus de moyens de communication, dont la voix. Teams s'est récemment doté de capacités en ce sens et, même si la plateforme de Microsoft n'offre pas les capacités fonctionnelles de traitement des appels et la sophistication des solutions de call-centers ou d'UCaaS, aucun opérateur ne peut faire l'autruche devant la montée en puissance des solutions IT dans leur pré carré. Ils sont nombreux à proposer des solutions télécoms couplées à la plateforme Microsoft, à l'image d'Arkadin* (aujourd'hui NTT) qui propose une offre d'intégration téléphonique très élaborée pour Microsoft 365.
Outre les GAFAM, quelques autres pure players UCaaS ont pris position sur le marché français. C'est le cas de Ring Central*, arrivé sur le marché en 2020, mais aussi de Fuze*, qui a équipé les 650 agences Foncia en France. « Fuze propose une offre complète car nous sommes éditeurs de notre propre solution, nous assurons nous-mêmes le support de nos clients et nos équipes Professional Services assurent le déploiement de la solution dans les entreprises », explique Guillaume Dethan, Regional Vice President de Fuze en France, qui ajoute : « nous sommes opérateur dans 58 pays, pour un service délivré dans 110 pays. Dans ces pays, nous pouvons remplacer les opérateurs locaux, si bien que les entreprises n'ont qu'un seul point de contact, une seule facture avec un prix par mois et par utilisateur tout compris. Cela fait toute la différence pour les DAF en termes de visibilité et de prédictibilité des coûts. En termes d'usage pour les collaborateurs, ceux-ci n'ont plus qu'une seule application afin de téléphoner, participer à des visioconférences, faire du chat ou même être en mode call-center pour ceux qui sont en mode avancé ».
Même l'emblématique Zoom, acteur américain qui s'est fait un nom pour sa plateforme de webconferencing, commence à lorgner sur le secteur de la téléphonie. L'application Zoom Phone permet aux utilisateurs de converser entres eux, mais aussi de composer des numéros RTC classiques. L'américain revendique une présence dans 40 pays, dont l'ensemble des pays européens. L'essor du très haut débit pour toutes les entreprises va précipiter la fin de la segmentation du marché entre opérateurs, intégrateurs télécoms et ESN. La fusion entre les télécoms et l'IT est en marche et nous allons assister à une redistribution des cartes entre des opérateurs, qui devront être de plus en plus intégrateurs IT, et des acteurs du cloud, qui veulent proposer des solutions tout-en-un qui vont parfois jusqu'à la connectivité réseau. Les PME vont avoir accès à des plateformes UCaaS aussi performantes que celles mises en œuvre par les grands comptes, mais le déplacement de la valeur vers l'IT pourrait s'avérer coûteux pour certaines...
Paroles d'experts
Laurent Silvestri*, président du CDRT (Club des Dirigeants Réseaux et Télécoms)
« Avec l'avènement du cloud, le marché de la téléphonie d'entreprise connaît une profonde transformation. Elle est devenue un outil de communication unifiée beaucoup plus large, ce que l'on appelle les communications unifiées. La France reste encore très en retard au niveau européen. La Covid a montré que la résilience est critique, et le cloud est une solution pour atteindre un bon niveau de résilience. Cette crise a montré aux entreprises qu'elles devaient passer dans le cloud, notamment pour la téléphonie. La fin du RTC est un autre accélérateur pour les PME, et le très haut débit permet aujourd'hui de faire passer toute la téléphonie sur internet. Un autre facteur est sans doute l'arrivée des méta-plateformes telles que Microsoft 365, Google ou Amazon Web Services. Ainsi, Microsoft Teams a connu des taux de croissance incroyables lors du confinement. La solution collaborative Microsoft intègre désormais des fonctions de téléphonie et certaines entreprises pourraient être tentées de faire de Teams leur système de téléphonie. »
Richard Aubry*, PDG de Networth Telecom
« Aujourd’hui, 99 % des PME utilisent la téléphonie fixe à la fois pour la voix et la data. Nous accompagnons les entreprises vers une approche qui comprend une partie fixe et une partie mobile, mais nous commençons à voir des entreprises qui veulent aller vers le full mobile. Tous les postes sont des mobiles avec une application pour disposer de toutes les fonctionnalités de centre d’appel. Certaines TPE ne souhaitent même plus avoir d’ADSL, mais un routeur avec une ou deux SIM 4G pour leur ToIP et la Data. C’est une véritable révolution qui est en train d’émerger sur la mobilité. »
« En tant qu’éditeur et opérateur, nous maîtrisons totalement la chaîne, et c'est ce qui nous permet de répondre en cas de dysfonctionnement, que ce soit sur le matériel ou le logiciel, ce que ne peuvent pas faire les éditeurs de solutions "Over the Top". Pour moi, le monde des plateformes collaboratives et celui de la téléphonie sont distincts dans les PME, et ne se concurrencent pas. Office 365 est une solution qu’elles considèrent comme coûteuse, et la plateforme Microsoft n’apporte ni de plus-value sur la partie téléphonique, ni toutes les fonctionnalités requises par les PME, notamment dans le domaine des call-centers. »
Le Covid-19 a apporté son lot de problèmes économiques mais il a aussi permis de mettre en lumière des points précis sur lesquels la France était en retard. C’est le cas pour les PME et le numérique. Une histoire d’amour qui a bien du mal à prendre son envol. Nous avons rencontré Laurent Silvestri, pdg d’OpenIP et président du CDRT, pour en savoir plus.
Réseaux VRD : Comment se portent les PME françaises ?
Laurent Silvestri : Le sujet est vaste mais comme élément de réponse, je vous dirais simplement qu’elles ont du mal à devenir des ETI (entreprises de taille intermédiaire, ndlr). Trouver une explication à cela en quelques mots serait très réducteur mais peut-être faut-il y voir un manque d’ambition, d’internationalisation ou encore de digitalisation.
R-VRD : Sur les services, est-il facile de concurrencer les GAFAM ?
S.: C’est compliqué. Les entreprises ont tendance à aller vers les GAFAM ou des entreprises comme OVH pour le Cloud. Les tarifs y sont plus attractifs et, quoiqu’on en dise, le prix restent le critère principal de choix des PME. J’étais récemment à une soirée sur le thème de l’éco-responsabilité et du GreenIT : pour résumé, le sujet c’était « c’est bien de faire du Green, mais avant tout, il faut faire des économies ». Sans apporter d’économies, la PME ne va pas écouter mon discours sur l’écologie. Il faut prendre ça en compte.
R-VRD : Comment pousser les PME à voir plus loin que le prix ?
S.: Par la pédagogie. Depuis l’ouverture de la concurrence, la seule chose qu’on a su leur proposer, c’est du tuyau avec un prix moins cher. C’est très réducteur. Les PMEs souhaitent être prises par la main et elles sont prêtes à payer pour bénéficier d’un partenaire numérique de confiance.
R-VRD : Comment expliquer que seulement 20% des PME soient équipées en fibre optique ?
S.: C’est principalement parce qu’aujourd’hui, les offres fibre professionnelles sont les offres FTTO et FTTE. Or, ces offres fibres dédiées sont onéreuses et plutôt dédiées aux moyennes entreprises. Les petites entreprises ne refusent pas de s’équiper. Elles attendent des offres à des tarifs plus attractifs, avec GTR ou avec débit garanti. Ces offres sont récentes et encore loin de couvrir le territoire. Le retard d’équipement des PMEs s’explique par le fait que ces offres ne datent que de 2018. L’accélération du déploiement FTTH grand public depuis quelques années est une bonne nouvelle mais une entreprise ne peut fonctionner sereinement sans délai de temps de rétablissement (GTR) et sans débit garanti.
R-VRD : Avec l’arrivée de ces offres récentes, ressentez-vous une appétence des PME pour la fibre ?
S.: Oui, bien sûr. Il y a une envie de numérique, de digitalisation. Mais la France a un vrai problème d’éducation numérique dans le cursus scolaire. Et un chef d’entreprise, quel qu’il soit, est encore peu « numérique ». Et c’est pareil pour les salariés qui ont du mal à se digitaliser. Les gens adorent le numérique pour faire des photos, regarder tous types de vidéos ou consulter les réseaux sociaux mais ils ne veulent pas prendre de cours d’informatique pour leur profession. De plus, on a un problème de prise de conscience du potentiel d’internet. Regardez les géants de la vente par correspondance qui n’ont pas su laisser leurs catalogues papier pour investir massivement le web : ils ont disparu. L’entreprise d’aujourd’hui doit être digitale.
R-VRD : Que peut apporter internet à une PME
S.: Il y a des opportunités commerciales, des possibilités d’aller chercher de nouveaux clients car internet est le plus grand marché au monde. Mais il y a aussi des opportunités opérationnelles lorsque l’on dématérialise l’entreprise. Cela peut être une comptabilité en ligne, des notes de frais, des tickets restaurant ou encore la téléphonie dématérialisés. Cette dématérialisation est synonyme de productivité, d’amélioration de la rentabilité, d’attractivité pour le recrutement.
R-VRD : N’y a-t-il pas une part de crainte chez les PME à l’idée de tout dématérialiser ?
S.: C’est un des éléments important en effet. Pendant longtemps, le réseau internet a manqué de fiabilité. Ce n’est plus du tout le cas d’autant que la fibre le fiabilise encore plus !
R-VRD : Vous parlez de la téléphonie. Comment peut-elle être dématérialisée ?
S.: Par le cloud ! Mais c’est un sujet sur lequel la France est très en retard. Historiquement, le marché de la téléphonie d’entreprise en France est dominé par deux acteurs majeurs, Alcatel et Mitel (ex-Aastra, ex-Matra). Ces deux leaders historiques n’ont pas poussé leurs réseaux d’installateurs à privilégier la vente de matériel plutôt que de vendre du cloud. Pour illustrer le retard incroyable pris, encore aujourd’hui, Alcatel et Mitel n’ont pas d’offres cloud pour les PMEs. Depuis 4 à 5 ans, de nouveaux acteurs, trop souvent américains, arrivent en France avec des offres cloud, plus adaptées aux PMEs et récupèrent ce marché.
R-VRD : En quelques mots, c’est quoi la téléphonie sur le cloud ?
S.: Pour faire simple, au lieu que le logiciel de téléphonie soit installé dans une boîte, elle-même installée dans un placard de l’entreprise, il est déployé sur une machine virtuelle, dans le cloud. C’est, en quelque sorte, la rapprochement de l’informatique et de la téléphonie. Et là, les possibilités sont énormes puisque, par exemple, on peut appeler ou chater avec son téléphone physique ou via une application sur son smartphone ou sur un PC… et cela, du monde entier !
R-VRD : 85 % des PME ont activé le télétravail, au moins partiel, pendant la crise de la Covid-19. Cela s’est-il fait sans heurts ?
S.: Pas du tout. La plupart des gens ont activés des renvois sur leur téléphonie d’entreprises et sont partis avec leur téléphone mobile. Seul 11% des PMEs ont une téléphonie dans le cloud. Ce déploiement massif du télétravail a été un cauchemar en termes d’expérience utilisateur. De plus, on a pris d’énorme risque en termes de sécurité informatique. On parle d’une augmentation de 600 % des attaques informatiques ! Pour illustrer l’importance de développer une culture informatique de sécurité, je vous rappelle, il y a quelques mois, que le groupe Bouygues et toutes ses filiales ont été bloquées de longues journées à cause d’un ransomware.
R-VRD : Maintenant, tout est rentré dans l’ordre sur les réseaux des entreprises ?
S.: Non, je ne pense pas. Lors de ce type d’attaque ou de période où le matériel informatique est vulnérable, les hackers installent des espions, des portes dérobées, qu’ils pourront activer à leur guise. Les réseaux d’entreprise sont toujours en danger et ont clairement besoin d’être sécurisés.
R-VRD : Qu’elle attitude une PME doit-elle adopter ?
S.: Déjà, il faut comprendre que si le numérique fait faire des économies, il demande d’abord un investissement. Ne serait-ce que pour changer les postes téléphoniques, changer les PC sous-dimensionnés, pousser vers un équipement plus mobile, etc. Les PME doivent s’orienter vers leurs installateurs informatiques et télécoms de proximité pour bénéficier du meilleur accompagnement. Tout doit venir de la direction qui va pousser le mouvement. Il faut une stratégie de digitalisation qui va se construire avec un partenaire compétent de proximité.
R-VRD : 22 % des PME n’ont pas de site web. Pourquoi ?
S.: La plupart du temps, elles considèrent simplement que cela ne sert à rien. C’est lié à un manque d’ambition et aussi, sans doute, à un manque de compréhension des opportunités commerciales offertes par le web.
R-VRD : Le numérique va-t-il s’imposer chez les PME ?
S.: La nouvelle normalité va intégrer le numérique. C’est une évidence. Cette crise a montré que la numérique permettait d’avoir des entreprises plus résilientes. Mais il va falloir faire vite et que le ralentissement économique ne bloque pas trop les investissements. Je dirais pour finir que cette transformation est importante pour l’attractivité des entreprises. Les entrants sur le marché du travail sont des « digital-native », ils sont nés et ont grandi avec ces outils. Une entreprise qui n’aura pas pris ce virage ne les attirera pas.
Tandis que l’avenir de Kosc, un opérateur stratégique du marché des télécoms pour les entreprises, s’inscrit en pointillés, les parlementaires appellent l'exécutif à prendre des mesures pour s’assurer que les TPE et PME puissent enfin accéder des offres de fibre à prix raisonnable.
Sur le front des télécoms, les sénateurs sont décidément très remontés envers le gouvernement. Alors que les parlementaires ont récemment pesté contre l'enveloppe, jugée insuffisante, octroyée par l'exécutif pour déployer la fibre dans les territoires ruraux, ceux-ci ont interpellé les pouvoirs publics, ce mercredi, concernant sa politique dans les télécoms pour les entreprises. Plus précisément, la Délégation aux entreprises et le Groupe numérique du Sénat s'alarment depuis des semaines de la situation de Kosc.
Suite à un conflit avec Altice, l'avenir de cet opérateur de gros sur le marché des télécoms professionnelles est incertain. En grandes difficulté financière, celui-ci a été placé en redressement judiciaire et cherche un repreneur. La situation de Kosc sème le trouble sur le marché de la fibre pour les entreprises. Son activité est jugée stratégique par l'Arcep. Le régulateur des télécoms a tout fait, ces dernières années, pour épauler Kosc. L'Arcep le perçoit comme un catalyseur de la concurrence dans un marché dominé par Orange, et dans une moindre mesure par SFR. L'objectif étant, in fine, de permettre enfin aux TPE et aux PME d'accéder à des offres Internet fixe bon marché.
Aux yeux des sénateurs, la disparition de l'activité de Kosc constituerait un désastre pour la numérisation des entreprises, un domaine où la France est en retard. A plusieurs reprises, les parlementaires ont demandé au gouvernement de se saisir du dossier. Mais leurs interpellations sont restées lettres mortes. « Nous avons alerté le gouvernement au plus haut niveau, mais les échos sont négatifs », canarde Elisabeth Lamure, sénatrice du Rhône (LR) et présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises. « Nous n'avons eu aucune réponse des pouvoirs publics concernant notre principale préoccupation : la possibilité que 65.000 PME (bénéficiant d'une ligne Kosc, Ndlr) se retrouvent sur le carreau, sans Internet... », déplore-t-elle.
Même son de cloche pour Patrick Chaize, sénateur de l'Ain (LR), et président du Groupe numérique du Sénat. Le parlementaire souhaite que le gouvernement soutienne « le modèle de Kosc », qui vend de la connectivité en gros aux opérateurs alternatifs - lesquels la commercialisent ensuite, au détail, aux entreprises. Kosc a surtout une particularité importante : en tant que grossiste pur, il n'est pas concurrent des opérateurs alternatifs sur le marché de détail. Pour Patrick Chaize, le fait que l'exécutif n'ait toujours pas répondu aux inquiétudes des parlementaires concernant l'avenir de Kosc est regrettable. D'autant que la société n'aurait pas vu le jour sans l'aide de l'État. « Kosc est né grâce au soutien de l'Autorité de la concurrence, de l'Arcep, ainsi que de la Banque des Territoires (qui dépend de la Caisse des Dépôts, Ndlr) », rappelle le sénateur.
Une affaire « d'intérêt général numérique »
A travers ce dossier, Patrick Chaize souhaite que le gouvernement prenne à bras le corps le problème de l'accès à la fibre des TPE et des PME. « Notre objectif est que toutes les entreprises françaises puissent bénéficier demain de la fibre sur un réseau neutre, ouvert, à un prix qui soit acceptable », poursuit-il. Elisabeth Namure, elle, qualifie l'affaire « d'intérêt général numérique ». Dans le sillage de la publication d'un rapport sur les télécoms professionnelles et la situation de Kosc, elle évoque la possibilité de déposer une proposition de loi.
En fin de semaine dernière, Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, a affirmé que l'activité de Kosc, en tant que grossiste pur, était fondamentale pour les télécoms professionnelles. « Nous appelons de nos vœux à la prolongation de cette activité, que ce soit via un adossement différent avec ses investisseurs, ou à travers une reprise du groupe », a-t-il indiqué. Avant d'avertir les candidats à la reprise : « L'important, c'est qu'une activité de gros volontariste soit structurellement garantie. »
La faillite de l’opérateur télécom Kosc, lancé à l’origine pour casser le duopole d’Orange et SFR, inquiète. Plus de 65 000 entreprises pourraient être privées d’Internet. Le Sénat appelle l’Etat à réagir.
Que va-t-il advenir de Kosc ? En faillite, le trublion des télécoms professionnels, lancé il y a près de quatre ans avec la bénédiction des pouvoirs publics pour bousculer le duopole d’Orange et SFR sur le marché des entreprises, cherche un repreneur. Un appel d’offres était sur le point d’être publié, jeudi 12 décembre, par l’administrateur judiciaire. Les candidats au rachat de l’opérateur auront jusqu’au 27 janvier pour déposer leurs offres.
Dans le monde des télécoms, l’onde de choc est palpable. « Les clients s’inquiètent. Plus de 65 000 entreprises risquent d’être privées d’Internet si Kosc ne trouve pas de repreneur. La transformation numérique et la compétitivité des TPE et des PME est en danger», assure Laurent Silvestri, président du Club des dirigeants réseaux et télécoms (CDRT), un groupe d’affaires qui réunit près de 200 professionnels du secteur.
L’objectif de Kosc était de rendre la fibre plus accessible pour les PME. Chepko Danil, chepko@yandex.ru/Chepko Danil - stock.adobe.com
La bonne idée va-t-elle virer à la catastrophe industrielle ? L’opérateur télécoms Kosc a été lancé pour « introduire de la concurrence » sur le marché dédié aux entreprises. Trois ans plus tard, il risque de mettre la clef sous la porte, au risque de voir «plus de 65.000 entreprises, essentiellement des TPE et des PME, privées d’accès à internet», affirme Laurent Silvestri, président du Club des dirigeants réseaux & télécoms (CDRT). Une inquiétude partagée par la Délégation sénatoriale aux entreprises qui tire la sonnette d’alarme. « Nous avons alerté les régulateurs et les cabinets ministériels concernés il y a quelques semaines, sans voir de réponse », ajoute Élisabeth Lamure, sénatrice.
La naissance de Kosc répondait à une préoccupation commune à l’Autorité des télécoms (Arcep), l’autorité de la concurrence (ADLC) et de la Banque des territoires. «Il fallait mettre fin au duopole d’Orange et SFR sur le marché des entreprises», rappelle le sénateur Patrick Chaize. Or déboutant une demande de Kosc face à Altice SFR en septembre 2019, l’autorité de la concurrence a précipité sa chute.
Kosc est un opérateur de gros: il vend des connexions à des sociétés qui les revendent avec d’autres services à des entreprises. L’objectif était que ce nouvel entrant tire vers le bas les prix de la fibre pour les PME. «Aujourd’hui, pour bénéficier d’une offre dédiée, avec un débit et des services garantis, une PME doit débourser entre 400 et 600 euros par mois. C’est un coût que beaucoup ne peuvent pas supporter», explique Laurent Silvestri. Néanmoins, ces petites et moyennes entreprises sont demandeuses d’un raccordement à la fibre, indispensable pour le passage au numérique. La CDRT se plaint de délais de raccordement à la fibre «pouvant atteindre un an», chez SFR! Pour Laurent Silvestri, Kosc «est un opérateur neutre qui entraîne avec lui tout un écosystème». Lequel risque d’aller au naufrage en cas de disparition de Kosc.
Depuis début décembre, le groupe est en redressement judiciaire. Il bénéficie d’une période d’observation de six mois, avec poursuite de son activité sous l’assistance d’un administrateur judiciaire. Celui-ci devrait lancer cette semaine un appel d’offres pour trouver un repreneur à Kosc. Bouygues Telecom a déjà regardé le dossier, mais sans donner suite pour le moment, D’autres noms circulent, comme celui d’Axione, un opérateur de réseaux télécoms. Des fonds d’investissement, spécialisés ou non dans les infrastructures, pourraient également être intéressés, alors qu’un mouvement de consolidation est enclenché dans ce secteur. Mais il leur faut avoir des horizons d’investissement à long terme compte tenu du modèle économique de Kosc. «On voit bien des marques d’intérêt», commente Antoine Fournier, PDG de Kosc, qui préfère rester prudent dans ses pronostics.
Des dizaines de millions
Les sommes à injecter vont dépendre du profil de l’éventuel repreneur. Hors synergies avec un acteur industriel, il faut encore «plusieurs dizaines de millions d’euros pour arriver à l’équilibre». Les télécoms sont une industrie de coût fixe, ce qui implique qu’il faut laisser le temps à l’opérateur de remplir son réseau pour qu’il puisse enfin dégager des marges.
Face à cette incertitude, la Délégation sénatoriale aux entreprises demande au gouvernement de «sauver le modèle Kosc». C’est-à-dire de maintenir l’activité d’un troisième opérateur sur le marché des entreprises.